Expressions béarnaises

Escota s’i plau !

Notre langue mairana (maternelle) est une langue très imagée dont les innombrables expressions font référence à des choses simples de la vie quotidienne, à l’environnement immédiat. Elles nous rappellent par leur contenu que le Béarn était encore un pays essentiellement agricole au lendemain de la dernière guerre mondiale.  Il s’agit la plupart du temps de métaphores, c’est-à-dire  des transpositions de sens.       

                  En témoigne l’expression eslimacar lo casau (enlever les limaces du jardin) qui signifie aller à confesse, se débarrasser d’une pensée obsessionnelle. Mais on pourrait l’employer aussi aujourd’hui pour une psychothérapie quelconque, ou pour toute forme d’interrogatoire. Dans le langage courant certaines expressions basiques bien que galvaudées, sont ancrées chez les Béarnais et leur permettent, tout comme les chansons, les proverbes et les dictons, de garder un contact direct avec la langue, qu’ils soient locuteur d’occasion ou faible locuteur… Ce qui me laisse dire qu’il y a un important gisement en Béarn de locuteurs potentiels, qui ne connaissent pas bien souvent l’étendue de leur connaissance en ce qui concerne leur langue vernaculaire, ce que j’ai souvent constaté. Un gisement plutôt stérile, restant toujours hélas à l’état de promesses, du fait d’un barrage inconscient et d’une certaine retenue de mauvais aloi.

                   Il en est ainsi de  a hum de calhau (à en enfumer les cailloux) ; a huec de caishaus (à feu de dents) , ces deux expressions voulant dire très vite, à toute vitesse. Viste hèit e plan fotut.. (vite fait, bien fait) ;  a vista de nas (à vue de nez) …. atau-atau (comme-ci, comme-ça, couci-couça) ; atau qu’ei e qu’ei atau (ainsi c’est et c’est ainsi) ; tirà’t deu puisheu ! (sors-toi de là !) ; tirà’t de la halha ! (sors-toi du coin du feu, ou bien, tu m’empêches de me réchauffer !) ; vè t’arrajar las puç ! (va te faire bronzer les puces), soit : dégage ! – haut au diable (indique une surprise ; il correspond à… mince alors, flûte !) ; que n’èi hartèra (j’en ai marre) ; qu’ei de dòu har (c’est dommage) ; que’m hè dòu (je regrette, ça me fait deuil) ; bruma baish (indique une atmosphère très lourde au sein du foyer familial) ;   qu’a  la cuca… (il ou elle est énervé.e, râle, ne se supporte pas) ;  har lo mus.h (faire la tête) ; que m’agrada… (j’aime) ; ne soi bon enlòc uei (je ne suis bon nulle part aujourd’hui) ; dit par quelqu’un qui n’arrive pas à se concentrer sur un travail, perturbé par des pensées parasites. Dehòra n’ei pas plen… (dehors, ce n’est pas plein) ou dehòra ne i a pas hum (dehors il n’y a pas de fumée)  correspond à l’expression française :  je ne vous reconduis pas, j’ai cassé le manche du balai… ce qui est plein de sous-entendus, une autre caractéristique de nos expressions.

                  Rien qu’en restant en prise avec le langage courant, on constate des nuances qui modifient parfois fortement le sens d’un mot. Exemple avec aqueste hilh de puta ou aqueth hilh de puta (ce fils de p…) … phrases devenues au fil du temps de simples exclamations. Mais la deuxième formule est beaucoup plus forte et insultante que la première… On se rend compte de l’importance des mots lorsqu’on emploie par réflexe, lors d’une discussion en français, un mot ou une expression béarnaise plus douces que leur équivalent en français… ce qui permet de désamorcer un conflit, ou du moins de l’atténuer grandement.
En général, les astuces de la langue permettaient et permettent toujours d’apaiser les tensions interindividuelles toujours trop gaspilleuses d’énergie. Elles facilitent donc grandement la communication, en la rendant plus légère, moins dramatique.

               Ce qui me paraît spécifique également, c’est la propension à jouer avec tous les mots quels qu’ils soient. Dans notre capital langagier, il y a beaucoup de petites comptines amusantes, de courtes chansonnettes et de simples jeux de mots, utilisables à tout moment dans la vie quotidienne (vita vitanta) .. et dont on ne se privait pas jadis :
Quand on disait aïe ! il y avait toujours quelqu’un pour dire « ceba ! » (oignon) ; ou si on répétait mesmes  (mais, mais), quelqu’un rétorquait « mes, mes dotze mes que hèn un an (douze mois font l’année) ; ou encore si on disait en bégayant après, après … il y en avait toujours un pour enchaîner … « e après, e après, quate crabas, setze pès. » (et après et après, quatre chèvres, seize pieds). Malheur à celui qui répétait hé, hé ! pour attirer l’attention, car il recevait aussitôt en retour, la réplique : « Palha ! » parce que hé ou hen, ça veut dire foin, et palha : paille. Même chose pour celui qui commençait sa phrase par … « Alavetz » (alors), il s’entendait rétorquer … « trufas e caulets !»  (pommes-de-terre et choux). 
Ou encore … « Que i a de nau ? – Arren de nau, tot de sèt e de ueit. »  (Qu’y-a-t-il de neuf ? – Rien de neuf, tout de sept et de huit), car nau veut dire à la fois neuf et nouveau.
Dans un autre genre, il pouvait se répondre ironiquement à cette question : « Que i a de nau ? – La nosta vaca qu’a hèit un chivau » (Notre vache a fait un cheval)
Les mots vrai, vérité (vertat) et véritable (vertadèr) sont mis à toutes les sauces. Par exemple, il se dit : “S’ei pas ua vertat vertadèra, qu’ei ua vertadòta.” Si ce n’est pas une vérité vraie, c’es une vérité approchante. “Ua istuèra vertadèrament vertadèra.” Une histoire véritablement vraie. “Ua istuèra verdiusa verdausa” Une histoire plus ou moins vraie, peut-être pas racontable.

                 

On peut dire que la langue révèle l’humour à fleur de peau des Béarnais, toujours prêts à mettre du piment dans leur vie quotidienne, histoire de passer par-dessus les difficultés inhérentes, de prendre du recul, de la hauteur. Mais cet humour pouvait et peut toujours être dirigé aussi vers soi, c’est ce qu’on appelle l’autodérision. Avant une situation difficile, certains disaient par exemple : Adara qu’i èm, ça disè lo boc qu’anavan crestar (maintenant on y est, disait le bouc qu’on allait castrer). Tot docet, craba, lo boc qu’ei vielh (doucement chèvre, le bouc est vieux)

                 Certaines expressions tiennent du proverbe en montrant particulièrement la finesse de notre langue maternelle, tout en reposant sur l’ambigüité :        
Pausà’s com los bueus a l’ombra deu noguèr.. . littéralement se reposer comme les bœufs à l’ombre du noyer. Mais en y regardant à deux fois, on s’aperçoit que le joug réunissant les bœufs est fait en noyer… donc les bœufs susdits ne se reposent pas mais travaillent bien … à l’ombre du joug, soit sous le joug.  D’autre part l’ombre du noyer tend à amplifier l’idée première  car cette ombre était réputée pour être la meilleure et était parfois même jugée dangereuse. Le béarnais se promène donc avec volupté dans l’ambiguïté. Bien souvent le sens principal est dissimulé derrière des sens secondaires et peut en fait signifier le contraire de ce qui semble se dire. C’est d’ailleurs une énième de ses caractéristiques…

Le dicton  « varam de la lua que seca era laca » pourrait suggérer que le halo de la lune était un bon indice de réchauffement à venir, seulement  il ne pourrait assécher que la flaque (laca) ; c’est-à-dire que c’est le contraire qu’il faut lire. 

Couverture dictionnaire des vallées et du piémont oloronais
Couverture dictionnaire tournures et formules gasconnes

Dictionnaire des vallées et du piémont béarnais

Parution novembre 2018
Dictionnaire classique se déroulant selon l’ordre alphabétique, agrémenté de toponymie, patronymie, ethnologie et de divers apports de contemporains. 

Dictionnaire des tournures et formules gasconnes (dont béarnaises)

Parution novembre 2022
Ce dictionnaire consiste en un relevé tendant à l’exhaustivité, en ce qui concerne expressions, locutions, proverbes et citations  gasconnes.

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